1/05/2010 16:59
La biodiversité interpelle les chrétiens
L’année de la biodiversité bat son plein. Les communautés chrétiennes, à l’image de la société française, commencent à se mobiliser et la conférence des évêques de France organise samedi 5 juin un colloque « Biodiversité et foi chrétienne »
Si, comme le dit l’adage, une hirondelle ne suffit pas toujours à faire le printemps, rien de tel cependant qu’une initiative de l’Organisation des Nations unies pour accélérer – parfois – les prises de conscience. Ainsi de cette année 2010, proclamée année de la biodiversité. Une thématique écologique jusque-là souvent anecdotique ou lointaine, réservée au mieux à quelques réseaux naturalistes.
Une thématique qui entre du coup dans les débats de société et les réflexions des Églises chrétiennes. Des Églises dont la conversion aux urgences écologiques reste encore à faire, même si localement des croyants sont concernés et actifs sur ce sujet. L’émergence d’initiatives diverses sur le thème de la biodiversité du vivant tombe donc à point.
Ainsi, le mois dernier, à Briançon (Hautes-Alpes), l’association environnementaliste locale Core a rassemblé, un week-end durant quelques dizaines de participants, chrétiens et non chrétiens, pour évoquer ensemble la dimension spirituelle de la diversité du vivant.
Le rapport à la terre a changé les mentalités
« Les observations, sous un beau soleil, des plantes environnantes, commentées par les naturalistes qui étaient là, poussaient autant à l’émerveillement qu’à la prière », raconte Damien Gangloff, le fondateur de Core, qui participait, après la conférence, à une sortie en montagne.
Son association, fondée il y a dix ans, est née du sentiment d’une urgence à agir au nom d’une charité chrétienne tournée vers toutes les créatures. Un sentiment qui pourtant reste souvent mal compris. « Il est indiscutable que la population manque de formation sur l’écologie, affirme Damien Gangloff. On entend d’ailleurs peu de prêtres évoquer ces thématiques. »
Pour Andrée Dagorne, géographe, c’est aussi le rapport à la terre qui a changé les mentalités : « Il y a une méconnaissance de la nature très nette, dont les causes sont multiples : urbanisation massive et perte des repères de la campagne, des calendriers agricoles et des fêtes religieuses qui les accompagnaient… Sans parler de l’enseignement, qui propose une approche encyclopédique du vivant, là où beaucoup attendent d’abord une approche globale de ce que l’on peut observer. »
Le terme “biodiversité” est né en 1986
Un constat partagé par Mgr Stenger, président de Pax Christi France qui encourage la réflexion sur l’écologie dans les communautés catholiques de France. « Pour beaucoup, la biodiversité se réduit à la protection de quelques grenouilles menacées par le passage d’une route. On est loin de l’idée de la beauté de la Création qui se déploie dans la grande diversité du vivant. »
C’est aussi pour remédier à cette carence qu’une journée « Biodiversité et foi chrétienne » est organisée samedi 5 juin à la maison de la Conférence des évêques de France à Paris (1). « Nous faisons partie de la biodiversité. Mais la biodiversité fait partie de notre destin d’humanité », soulignent les organisateurs de la journée. Une conviction que le collectif d’associations Vivre autrement déploie dans sa campagne à venir pour l’été, centrée sur le respect dû à la terre et à ses hôtes.
La sensibilisation est donc en marche, même si l’idée de biodiversité reste confuse dans les esprits. « Le terme “biodiversité” est né en 1986, à l’occasion d’un forum organisé aux USA par la National Academy of Sciences et ne recouvre pas à l’origine un nouveau concept mais traduit simplement un raccourci linguistique comme les affectionnent les Américains, à savoir biodiversity pour biological diversity », précise Jean-Pierre Raffin, écologiste et chrétien engagé de longue date sur la question.
« Ne pas nous contenter de contempler la grande diversité du vivant »
Cette diversité des formes du vivant (animal, végétal, microbien) est une grande redécouverte des décennies passées : c’est désormais en millions d’espèces différentes, dont beaucoup ne sont pas encore identifiées, que l’on estime la palette du vivant. Des espèces dont un certain nombre, souvent les plus emblématiques, sont directement menacées par nos modes de vie modernes.
Complexité inouïe d’une part, menaces dramatiques de l’autre : autant de réalités qui rendent difficile la tâche de la sensibilisation. « De plus, notre théologie de la Création invite à ne pas nous contenter de contempler la grande diversité du vivant, rappelle Mgr Stenger. C’est le rapport même entre les espèces qui est à penser pour nous. »
On retrouve cette intuition dans le travail quotidien d’Emmanuelle Philipponnat, naturopathe, chré- tienne, qui a emboîté les pas d’Hildegarde de Bingen, une passionnante abbesse allemande du XIIe siècle qui a laissé d’étonnants écrits naturalistes et thérapeutiques. « Pour elle, toute la nature, dans sa diversité, recèle des forces secrètes que Dieu enseigne à ceux qui la contemplent. »
Redécouvrir Hildegarde de Bingen
Sa pharmacopée, à partir d’extraits végétaux et animaux, relève autant du bon sens que de l’intuition spirituelle. « Pour Hildegarde, la nature comme création ramène au Christ et non pas à l’homme », explique-t-elle. « Comme thérapeute, je ne cesse de m’émerveiller de constater que le pissenlit arrive à maturité au printemps, au moment où je le prescris comme remède pour des troubles de l’estomac courants à cette même époque. »
Son dernier voyage sur les bords du Rhin, pas loin de là où Hildegarde a vécu, conforte Emmanuelle Philipponnat dans la grande connaissance qu’avait la sainte des multiples espèces de plantes de sa région.
L’épeautre, cette céréale dont les vertus ont été redécouvertes ces dernières années, est par exemple souvent prescrit par Hildegarde. « Une nourriture qui fait naître la joie, précise-t-elle, puisqu’elle soulage les troubles alimentaires. » Une action confirmée aujourd’hui par les scientifiques, bien des siècles plus tard.
Une belle diversité œcuménique
La science ? C’est aussi l’approche originale de l’association chrétienne A Rocha, qui travaille sur des projets locaux de préservation ou de restauration de sites naturels. « Les chrétiens sont pour la plupart très reconnaissants pour la nature dans sa diversité, comme don du Créateur, témoigne Steven Dixon, le président de la branche française de l’association.
Mais c’est le sentiment d’impuissance qui prime face aux urgences planétaires. Faire face à son impuissance à changer seul la situation mondiale et aller de l’avant quand même, en agissant sur ce qui est à notre portée, requiert du caractère et va paradoxalement à l’encontre de notre éducation “citoyenne” qui incite à se fondre dans le rang. »
Pour lui, les signes précurseurs d’une mobilisation dans les réseaux chrétiens sont pourtant manifestes, dans une belle diversité œcuménique. « Si cette prise de conscience chrétienne se multiplie à l’échelle de la planète, qui peut prédire les transformations que cela pourrait entraîner ? »
Dominique LANG
(1) Colloque organisé par le Service national Famille et société de la Conférence des évêques de France et son département Environnement et modes de vie. Contact et inscriptions : snfs chez cef.fr ou tél. : 01.72.36.69.09.