Ce texte a été écrit à l’occasion d’un forum au rassemblement de la CVX à Lourdes : Parcours de l’eau, porteuse de vie - juillet 2006
Témoignage de Bruno Rouch, 41 ans, Ingénieur divisionnaire des Travaux Publics de l’Etat, chef du Service Déplacements Environnement Contrôle à la DDE des Hautes-Pyrénées.
Une formation initiale (Hydraulique et Environnement) et une carrière professionnelle (annonce des crues et police de l’eau en Puy de Dôme, prévention des risques, annonce des crues et Ingenierie des cours d’eau en Pyrénées orientales, prévention des risques en Hautes-Pyrénées) m’ont amené à traiter des questions de ressources en eau et de prévention des risques d’inondation. Ces deux aspects contradictoires d’un même élément « l’eau » m’ont apporté deux éléments de sagesse spirituelle : le respect et la solidarité, deux valeurs que méritent de porter les chrétiens d’aujourd’hui, parce qu’elles sont les sentinelles de l’Amour.
Voici quelques lignes improvisées sur ce sujet à l’occasion de ce rassemblement de chrétiens à Lourdes.
Le paradoxe de l’eau : eau source de vie, danger de mort
Qui n’a pas éprouvé le vertige de nager en eau profonde, sans pouvoir mettre « pied à terre » ? La vulnérabilité, la fragilité de l’homme face à son milieu originel, source de vie, est alors frappante. C’est ce que m’évoque souvent le tranquille cours d’eau, que je longe à l’ombre de ses aulnes reposants, ou que je descend en canoë, porté par son courant chantant. Car je sais y reconnaître l’impétueux torrent, qui gronde après l’orage et sort de son lit, inondant les plaines, enrichissant de son limon la vallée, mais emportant dans son élan ouvrages, berges, voire maisons et habitants.
Regardez le Tech, fleuve apparemment mineur des Pyrénées Orientales, qui se jette doucement en mer méditerranée à Argeles, avec un débit estival d’une dizaine de mètres cubes par seconde. Imaginez maintenant le déluge des 16 et 17 octobre 1940 (l’ « aïguat », qui désigne en catalan aussi bien le déluge que ses conséquences), le fleuve emportant tout sur son passage avec une énergie effroyable, à un débit de plus 3 500 mètres cubes par seconde, plus puissant que la Seine en crue à Paris, apportant la désolation et faisant 40 victimes. Depuis ce jour, certains appellent encore le cours d’eau « la tueuse ».
Et pourtant... En 1942, le gouvernement (à cette époque de Vichy) crée un grand service en Pyrénées-Otientales, le « service spécial de défense contre les eaux ». La guerre contre l’eau est désormais déclarée. L’homme a pu grâce à ses ingénieurs et ses entreprises, reprendre possession des lieux, construisant encore plus grand, créant des endiguements et des barrages, aménageant des centaines d’hectares urbanisés. J’ai été le dernier ingénieur de ce service qui a été en 2001. Nous avions, depuis les années 40, un peu réalisé que ce rêve de domination de l’eau était une utopie. Nous avons ainsi préché, à partir des années 90, pour une autre aproche de l’eau, plus équilibrée, souvent dans l’incompréhension et contre des enjeux de développement à hautes valeurs ajoutées...
Je sais qu’un jour la grande crue reviendra ; j’aurai oeuvré pour diminuer son impétuosité et lutté pour mettre fin à l’occupation de ces zones exposées. Mais je sais que ce jour là il y aura des pleurs et des grincements de dents...
L’apprentissage du respect
Comment comprendre ce paradoxe de l’eau, comment ne pas se révolter face au tragique destin de vies ruinées ?
La réponse, telle que nous l’exprimons aujourd’hui dans le cadre de nos fonctions (et qu’aujourd’hui l’administration traduit dans des textes réglementaires et des doctrines, parce que la raison et le bon sens ne suffisent pas...) passe par deux étapes.
L’humilité d’abord. L’homme ne peut avoir l’arrogance de croire qu’il est plus fort que les éléments et que la connaissance des sciences et des techniques lui permet de se protéger efficacement contre les forces naturelles. Cette humilité nous amène à rechercher dans le passé les traces des évènements tragiques et d’en tirer les conséquences en terme d’aménagement futur.
Vient ensuite le respect : savoir respecter les espaces naturels, laisser au cours d’eau son espace de liberté, et, si la nécessité de bâtir est plus forte, trouver une juste compensation dynamique dans l’esprit de l’équilibre.
Nous ne pouvons continuer à opposer l’homme et son environnement. L’homme et la nature ne font qu’un. Ils sont tous les deux les fruits de la Vie. C’est notre salut qui se joue au travers de cette compréhension basé sur le respect car c’est ainsi seulement que nous pourrons laisser à nos enfants une terre en harmonie avec eux.
L’eau : source de solidarités humaines
Je me souviens de cette nuit du 12 au 13 novembre 1999, passée au service d’annonce des crues des Pyrénées Orientales. La pluie ne cessait de tomber par temps de tempête. Je ne pouvais faire mieux que de suivre et prédire, pour les services chargés de la mise en oeuvre des secours, l’évolution prévisible de ce qui s’annonçait être une catastrophe.La grande crue de l’Aude, mais aussi du Verdouble, de l’Agly, et de nombreux autres cours d’eau frappaient les départements de l’Aude et des Pyrénées Orientales. Les jours qui suivirent, après le triste bilan des décès, furent consacrés à inventorier les dégâts matériels, constater les catastrophes naturelles, rétablir les accès, réparer les ouvrages, les réseaux,... Des années seront nécessaires à la remise en état complète.
Au milieu de cette désolation, le principal sourire a été celui de la solidarité. Dès le matin, tous, amis, voisins, associations, collectivités locales, l’Etat (armée, administrations,...) répondaient d’un même élan pour faire face à la situation.
Ainsi l’Eau, au travers de ses épreuves nous réapprend la solidarité, et nous ramène vers le sens premier de notre Humanité.
Les exemples ne manqueraient pas de cette solidarité qui s’exprime au travers de l’Eau :
- solidarité locale : pendant l’événement en particulier,
- solidarité nationale : pensons aux nombreuses aides apportées mais aussi aux assurances, rendues obligatoires pour les risques majeurs par les lois de 1982,
- solidarité internationale, au travers des coopérations inter-gouvernementales mais aussi, de façon encore plus flagrante, des organisations non gouvernementales (rappelons nous le récent Tsunami).
La solidarité continue toutefois de s’opposer à nos égoismes. Ainsi, un maire qui avait mis en oeuvre à notre demande, une évacuation locale des populations, s’était vertement fait reprocher par un administré son excès de précaution (la crue n’ayant pas débordé). Il m’avait alors rapporté sa réponse orale : « pensez que vous avez pu mettre à l’abri vos meubles ainsi que votre famille ; mon épouse et mes enfants, eux, étaient seuls face à l’événement car j’étais sur le terrain pour aider à l’évacuation ! ».
La solidarité nous amène ainsi vers une part d’abnégation et d’altruistme. Les crues sont toujours l’occasion de rappeler le courage de ceux qui s’investissent pour les autres et n’hésitent pas à donner leur vie au service de cette solidarité.
L’eau porteuse de vie ?
Au travers de ces quelques exemples, l’eau m’apparaît non seulement porteuse de vie mais également porteuse de nombreuses valeurs et d’espoirs.
Elle est au coeur de notre Humanité.
Ré-apprenons chaque jour à la respecter et apportons ainsi, à nos vie de chrétiens, le témoignage d’une communauté en harmonie avec la Nature.