Eucharistie et célébration de la Création

Depuis quelques années une tendance se dessine chez les chrétiens qui les conduit à redécouvrir le mystère de la Création.

Stimulés par le mouvement écologiste, provoqués parfois par des attaques contre la mentalité judéo-chrétienne, ils redécouvrent leur responsabilité spécifique dans le monde créé par Dieu et confié à leur gérance. Ils prennent une conscience plus vive de leur vocation de fils de Dieu, de baptisés qui les invite à la louange, l’action de grâce, l’offrande d’eux mêmes et du monde.
Sensibles à l’urgence d’un dialogue et d’une collaboration entre religions monothéistes, ils éprouvent le besoin de célébrations communes de la Création et du Créateur.

Entre cette redécouverte et la messe du dimanche y-a-t-il un rapport, une convergence ?

Quel lien existe-t-il entre la célébration de la Création et l’eucharistie dominicale ?

Voilà la question que nous souhaitons nous poser.

La louange du Créateur est présente dans la célébration eucharistique.

Si nous nous limitons à l’étude des seules prières eucharistiques proprement dites sans oublier la liturgie de la Parole qui la précède, une constatation s’impose.

La louange du Créateur est toujours présente dans toutes les prières eucharistiques. Certes la place qui lui est dévolue varie d’une prière à l’autre. Discrète dans le canon le plus ancien attribué à saint Hippolyte (PEII) elle est largement plus développée dans la prière IV . Il est vrai qu’elle est rarement employée dans les paroisses qui la jugent un peu longue. Ceci a peut être contribué à affaiblir le sens de la bénédiction du Créateur chez les chrétiens catholiques d’où la quête actuelle. Arrêtons nous justement à cette dernière qui est d’une grande richesse théologique. Rappelons qu’elle commence dès l’invitation du prêtre à l’assemblée et que le terme de préface signifie plutôt commencement et non préambule comme dans nos livres.

La première partie est une louange développée largement et adressée à Dieu pour la création de l’univers.

Vraiment, il est bon de te rendre grâce,
il est juste et bon de te glorifier,
Père très saint,
car tu es le seul Dieu
le Dieu vivant et vrai :
Tu étais avant tous les siècles,
tu demeures éternellement, lumière au delà de toute lumière.

Ce commencement de la louange appelle une réflexion toute simple. Dieu le Père est loué pour lui même, pour ce qu’il est depuis toujours avant même d’évoquer son oeuvre. Cette totale gratuité de la louange s’inscrit dans la grande tradition des bénédictions juives, les berakot.

Cette démarche est difficile pour notre esprit sécularisé prompt à douter de l’existence de Dieu. Peut être est ce la raison des réticences rencontrées dans nombre de communautés à employer cette prière.

Cette prière suppose une foi vigoureuse en la Trinité éternelle. Or c’est un point qui fait difficulté pour nombre de chrétiens aujourd’hui.

La suite va exprimer l’oeuvre créatrice du Père dans la ligne du symbole de Nicée.

Toi, le Dieu de bonté,
la source de la vie,
tu as fait le monde pour que toute créature
soit comblée de tes bénédictions,
et que beaucoup se réjouissent de ta lumière

L’essentiel est proclamé : Dieu a voulu le monde et lui a donné l’existence pour notre bonheur mais aussi celui de toute créature. L’homme n’est pas créé tout seul et son bonheur n’est pas étranger à celui des autres créatures. Avouons que nous sommes aux antipodes d’une certaine mentalité hédoniste totalement indifférente à l’environnement animal et végétal.

L’amour du Père a voulu combler toutes les créatures. Ses bénédictions touchent tous les êtres existants, animaux, végétaux , monde minéral et aquatique. Mais son amour de prédilection va à l’homme :

Dieu créa l’homme à son image,
à l’image de Dieu il le créa,
homme et femme il les créa. Gn 1 v 27

Homme et femme, c’est à dire relation vivante d’amour entre deux êtres qui sont appelés à la fécondité : cellule vivante qui n’est pas sans analogie avec la communion d’amour entre le Père et le Fils dans l’Esprit.

Remarquons que nous sommes aux antipodes d’un certain pessimisme contemporain qui, aveuglé par le mal du monde, ne croit plus à la bonté de Dieu, source de la vie. Cet esprit chagrin ne peut plus louer Dieu car il a des comptes à régler avec cette divinité jugée coupable de la détresse de monde.

La version adoucie de cette mentalité est une disposition d’esprit plus prompte à demander qu’à remercier. L’Eglise dans l’assurance que lui donne l’Esprit reçu au jour de Pentecôte a l’audace de louer Dieu de toutes ses forces dans une immense reconnaissance pour le don reçu de la vie et de joindre sa voix à la louange éternelle des

anges innombrables
qui te servent jour et nuit
se tiennent devant toi,
et, contemplant la splendeur de ta face
n’interrompent jamais leur louange.
Unis à leur hymne d’allégresse,
avec la création toute entière
qui t’acclame par nos voix,
Dieu, nous te chantons :

L’acclamation de l’assemblée :

Saint ! Saint ! Saint,
Le Seigneur, Dieu de l’univers !
Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire.
Hosanna au plus haut des cieux.
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.
Hosanna au plus haut des cieux.

Cette acclamation s’inspire de la vision grandiose d’Isaïe au chap 6.

L’adjonction “Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur” vient du Psaume 118 v26, mais elle nous introduit déjà dans le Nouveau Testament. Elle fait allusion à l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem en Matt 21 v 9.

Puis vient la louange de Dieu pour le mystère du salut. Celle ci débute à nouveau par le rappel de la création de l ‘homme

Père très Saint,
nous proclamons que tu es grand et que tu as créé toutes choses
avec sagesse et par amour ;
tu as fait l’homme à ton image,
et tu lui as confié l’univers,
afin qu’en te servant, toi son Créateur,
il règne sur la création.

La responsabilité de l’homme sur la création est clairement affirmée. Servir Dieu signifie pour l’homme régner sur la création dans un esprit de service et d’humilité. Il ne s’agit nullement de domination arbitraire ou brutale. Tout est confié à l’homme par le Père et le Fils nous demande d’être ”parfaits comme le Père Céleste est parfait” (Matt 5 v 48)

“Lui qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes” Matt 5 v 45.

La louange continue par le rappel des premières alliances, la venue du Fils de Dieu parmi les hommes, la rédemption. Après l’invocation pour demander l’envoi de l’Esprit Saint en vue de la consécration a lieu le récit de l’institution. Celui-ci est suivi du mémorial du mystère pascal et de l’offrande du Corps et du Sang du Christ. Une nouvelle invocation pour demander l’envoi de l’Esprit Saint en vue de la communion, suivie d’une longue prière d’intercession, se clôt par la grande acclamation finale ou doxologie.

Par lui, avec lui et en lui,
à toi, Dieu le Père tout puissant,
dans l’unité du Saint Esprit,
tout honneur et toute gloire
pour les siècles des siècles.
Amen.

Le mouvement de cette prière de louange et de consécration parcourt le dessein éternel d’amour de la Trinité sur le monde et l’homme pécheur. Il n’a de sens que si dès l’origine le monde a été voulu par Dieu, créé par lui en vue d’une divinisation de l’homme à laquelle le reste de la création est associé. Oublier la louange du Créateur pour ne se souvenir que du seul sacrifice du Christ serait une absurdité. Ce serait méconnaître le grand dessein d’amour de Dieu dont la Bible nous révèle l’immensité et la merveille.

Contempler l’ensemble du Dessein de Dieu

La beauté de l’eucharistie éclate dans la contemplation de l’ensemble du dessein de Dieu. Celui ci commence par l’acte créateur de Dieu mais ne peut être pleinement compris que dans la contemplation de l’envoi du Fils dans notre chair et de l’Esprit qui nous sanctifie et nous rassemble. Tout s’achève dans la glorification du Père par le Fils dans l’Esprit, mais

“la gloire de Dieu c’est l’homme vivant
et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu” St Irénée.

St Irénée ne se lasse pas d’admirer la sagesse de Dieu et l’unité du dessein créateur et rédempteur.

“Si la révélation de Dieu par la création donne la vie à tout être vivant sur la terre combien plus la manifestation du Père par le Verbe donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu !"

Nous ,chrétiens, partageons avec toutes les religions monothéistes cette fierté de savoir que le monde nous est confié par Dieu lui même. Il nous revient en propre de manifester le don suprême du Père, le Verbe fait chair dont nous offrons le sacrifice dans l’eucharistie.

Avec St Jean notre louange se fait cosmique et trinitaire :

Tu es digne, Seigneur notre Dieu
de recevoir
l’honneur, la gloire et la puissance

C’est toi qui créas l’univers ;
tu as voulu qu’il soit :
il fut créé.

Tu es digne Christ et Seigneur
de prendre le livre
et d’en ouvrir les sceaux

Car tu fus immolé,
rachetant pour Dieu au prix de ton sang,
des hommes de toute tribu,
langue, peuple et nation

Tu as fait de nous, pour notre Dieu
un royaume et des prêtres,
et nous régnerons sur la terre

Il est digne l’Agneau immolé
de recevoir puissance et richesse,
sagesse et force,
honneur, gloire et louange.

Amen. Apoc 5 v 9-12